Berdasser & Petasser
‘Chanter des mots’ de chez nous
avec Marguerite Gurgand (1916-1981),
Conteuse melloise
“Si vous oubliez d’où vous venez, vous ne saurez plus qui vous êtes."
Les veillées d’antan
Les veillées des éplouneurs de garouil (éplucheurs de maïs), des casseurs de calot (noix), des palissonneurs, des fileuses de chanvre ... Tous s’unissaient en légendes, en chansons, dans l’odeur des crêpes et des châtaignes grillées. La châtaigne est aussi nécessaire à la réussite d’une veillée que la présence d’un bon conteur et d’une flambée dans la cheminée.
Oui, qu’il était expressif et coloré ce patois de mon enfance! “Berdasser” avec sa désinence péjorative en -asse est plus prégnant que peiner, trimer ou besogner, de même que l’est le verbe “acacher” pour dire appuyer, presser fortement. Partout perce le pittoresque. Dans les verbes bien sûr: “s’aisiner,” c’est être adroit à l’ouvrage, le faire avec aisance, tandis que “petasser,” c’est ne pas avancer en besogne; “berdasser,” c’est tenir des propos inconsidérés (d’où le péjoratif Marie-berdasse, commère de village); “bouquer,” attesté depuis 1752, et dont le sens d’être vexé et de faire la moue, est surtout vivant dans l’Ouest; “s’épivarder,” se plumer avec son bec comme le pivert, veut dire “faire le beau,” “s’acrapaudir,” c’est s’aplatir comme un crapaud; “frelasser,” c’est faire un bruit de ferraille. Citons encore le joli verbe “bouliter,” regarder par une “boulite” (i.e. une petite ouverture, une niche dans un mur ou un interstice) et par extension jeter un regard furtif.
L’ “aigail”(attesté depuis 1561 dans l’Ouest), c’est la rosée, tandis que l’ “ève,” c’est l’eau. L’arena tela du latin devient chez Maurice Fombeur la poétique “arantèle” pour dire la toile d’araignée. L“ageasse” (ou par palatisation, l’“ayasse”), c’est la pie, tandis que la “grolle” (du latin gracula), c’est le corbeau; le “jau” (du latin gallus), c’est le coq; le “piron” c’est l’oison; un “bedet” c’est un jeune veau, un “viâ” comme l’écrit Marguerite Gurgand (NAB, 88), mais aussi un synonyme de nigaud; une “boude” est une génisse qui tête encore sa mère; le “lumat” c’est le limaçon et la loche, la limace. Le “fisson” c’est la langue fourchue de l’aspic et de la femme vipérine, c’est-à-dire médisante.
Comme le note encore notre conteuse, “le serpent", chez nous, est toujours féminin, peut-être en hommage à Mélusine” (NAB, 22); le “timbre” c’est l’abreuvoir taillé dans la pierre calcaire, un terme attesté dans l’Ouest depuis le XVIe siècle,et notamment chez Rabelais; une mitaine, c’est comme au Québec, un gant de laine, mais aussi une moufle de cuir épais servant à couper des épines et à fagoter les arbres.
C’est surtout dans les images que transparaît ce pittoresque. D’un hypocrite, on dira qu’ “il est franc comme un âne qui recule.” Au lieu de “amis comme cochons” on dira plutôt “amis comme gorets.”
Pour exprimer l’aisance, on dit des gens qu’ils sont “heureux comme poulets en mue” (La mue - dont parle également Marguerite Gurgand - est la cage étroite où l’on met la volaille à l’engrais.) “Chasser les perdrix coiffées” c’est courir les filles. “Etre accrêté comme un jau” c’est être rouge de colère comme un coq. “Plumer la grolle” c’est prendre une légère collation. “Faire un repas d’ouailles,” c’est manger sans boire.
Honni soit qui mal y pense à notre époque du parler “politiquement correct,” l’expression de café, “baiser une fillette” ne doit pas vous choquer, car c’est innocemment vider, habituellement à deux, une bouteille de 33 cl. de vin bouché qu’on appelle une “fillette.”
Et quiconque est familier de nos palisses, “ombre des palisses” qui, note avec humour Marguerite Gurgand, abrite certaines “félicités [...] bien terrestres” (NAB,176) - comprenez les haies vives faites de branches d’épine noire, et les buissons touffus d’épine blanche du bocage, saisira la vérité de l’image: mourir, c’est “musâ ó bwésen”, comprenez: passer à travers le buisson.
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Le lexique du patois de l’Ouest constitue une sorte de musée où l’on retrouve quelques mots d’origine gauloise, tel ce verbe “musser” attesté depuis l’ancien français; tel aussi le mot “dorne” - “très usité en Poitou,” note en bas de page Marguerite Gurgand (NAB, 160) pour la “poche faite en relevant le bas du tablier dans sa main” dans le but de porter différents objets.
Musée donc où l’on retrouve aussi maints termes de l’ancien et du moyen français, tel le mot “métives” (NAB, 20) pour l’époque de la moisson, attesté dans l’Ouest depuis le Moyen Age, et que l’on n’emploie plus qu’en parlant du passé; ou encore le verbe “garrocher” pour lancer violemment, dérivé de l’ancien français “guaroc” d’origine germanique. Il faut aussi y ajouter certains emprunts à la langue bretonne, tel le mot “galerne” pour le vent du nord-ouest, et plus encore aux parlers d’oc, par exemple, “zire” pour répugnance, “mogettes” pour haricots blancs secs, ou encore l’odorant fromage de chèvre de notre Poitou au joli nom de “chabichou”: un mot d’origine dialectale à rattacher à la famille issue du latin capra ou son équivalent de “bique” autrefois omniprésente vache du pauvre.
Pourquoi, comme le chante Gilles Vigneault, est-ce que je retourne encore instinctivement aujourd’hui à ce “langage de mon père, patois XVIIème,” sinon en raison de l’attachement affectif pour ces mots et expressions de chez nous retrouvés chez notre conteuse patoisante, mots qui semblent enfermer un ‘surplus de sens’ ?
Source du texte |
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http://faculty.uml.edu/jgarreau/MargueriteGurgand.htm
Marguerite Gurgand (1916-1981)n’aura écrit que trois livres; deux seulement en entier. Elle était en train d'écrire son troisième ouvrage, l'Histoire de Charles Brunet quand la mort l'a surprise le 30 octobre 1981 à l'age de 65 ans.Elle en était à peu près à la moitié de L’Histoire de Charles Brunet.
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Date de dernière mise à jour : 19/12/2019