Les Apaches en 1900
Les Apaches, ces bandes de jeunes qui terrorisaient Paris
au début du XXe siècle
Correspondance, Gautier DEMOUVEAUX
Le surnom d’Apache a été inventé par les journalistes, qui voient dans les méfaits de ces bandes d’adolescents :vols, cambriolages, agressions gratuites voire viols – des comportements sauvages. Ils n’hésitent pas à faire l’analogie avec la tribu indienne, rendue populaire à la fin du XIXe siècle par les romans de Fenimore Cooper et les spectacles de Buffalo Bill. (Illustration : Wikicommons)
« Ce mot est probablement lié aux romans de Fenimore Cooper [auteur américain à qui l’on doit notamment Le Dernier des Mohicans, NdlR] qui sont de plus en plus lus en France, précise pour sa part l’historien Quentin Deluermoz
Buffalo Bill a fait des spectacles célèbres du côté de la porte Maillot dans les années 1880. Le mot « Apache » incarne la sauvagerie à l’intérieur même de la cité… »
À l’époque, Paris est en pleine mutation. Le baron Haussmann a profondément redessiné les artères de la capitale, le métro imaginé par Fulgence Bienvenüe entraîne également de nombreux travaux, tandis que l’Exposition universelle attire de nombreux visiteurs. La ville Lumière est aussi le lieu de l’avant-garde artistique, des cabarets et des guinguettes.
Mais à côté de tout ça, les classes laborieuses sont refoulées du centre vers les arrondissements périphériques, le long des fortifications, cette ceinture de défense construite au milieu du XIXe siècle qui accueille maintenant ouvriers spécialisés et paysans venus de province pour trouver un emploi. Tout ce monde vit dans la pauvreté des bidonvilles qui se forment petit à petit, qu’on appelle alors « la zone ».
C’est dans cet univers qu’apparaît la figure de l’Apache : « [Il] est né sur le pavé de Paris, explique l’historienne Michelle Perrot
Tout gosse, il se traîne dans les ruisseaux des quartiers de la périphérie ou de la banlieue. Il échappe à l’école et à l’apprentissage […]. Il vagabonde, vit de petits métiers, ou de petite maraude, nargue la police qui, dans les secteurs populaires, passe le plus clair de son temps à pourchasser les garnements. Il se forme de petites bandes de quartiers, […] bandes mixtes où les filles sont moins nombreuses et d’autant plus désirées. »
Selon l’historienne Michelle Perrot, la création de ces bandes est pour la jeunesse populaire de la capitale et de sa banlieue « une aventure de jeunesse, un rite de passage avant de se ranger et d’accepter les normes de la vie adulte ». (Photo : Wikicommons)
Une culture particulière
Ces jeunes, dont la plupart ont entre 15 et 20 ans, se construisent une véritable identité, en opposition à cette société industrialisée qui est en train d’émerger, et dans laquelle les ouvriers sont interchangeables, exécutent des tâches répétitives et abrutissantes. Pour survivre à la misère et pour s’assurer un semblant de sécurité, ils vivent en bande, vagabondent, commettent des larcins et autres vols à l’étalage, crient leur colère et leur soif de liberté.
Chaque bande se donne un nom en référence à son quartier ou sa rue (les Gars de Charonne, les Monte-en-l’air des Batignolles ou les Loups de la Butte), à leur chef (les Delignon, les Zelingen), ou leurs vêtements (les Habits noirs ou les Cravates vertes).
Leur style vestimentaire atypique est en effet tout à fait reconnaissable : casquette sur le côté, foulard noué (dont ils se servent comme arme), pantalon pattes d’eph’, veste d’ouvrier, bottines lustrées, tatouages, couteau dans la poche…
Ils ont aussi leur propre culture, leur propre code d’honneur et même leur langage, le fameux argot, dont bon nombre de mots et d’expressions sont passés dans le langage courant et sont encore utilisés aujourd’hui, comme « daron », « condé », « blase », « taf » ou encore « thune » et « oseille »…
Les Apaches ont développé une culture bien à eux, avec leur style vestimentaire, leur code d’honneur et leur propre dialecte, l’argot, qui laissera à la langue française de nombreux mots, passés aujourd’hui dans le langage courant. (Photo : Wikicommons)
Crimes et délits
Frondeurs et bagarreurs, ces gangs détroussent les passants ou cambriolent les maisons cossues, prostituent des filles. Ils sont prêts à cogner pour défendre leur honneur ou la réputation de leur bande et beaucoup de leurs histoires finissent en bagarres de rue, voire en rixes sanglantes.
Ils sont aussi friands de fêtes foraines ou de bals musette où ils dansent et s’enivrent. Selon Michelle Perrot, « toutes ces apacheries – le terme apparaît dès avril 1908 dans le Larousse mensuel illustré comme synonyme « de réunion d’individus sans moralité » – est pour eux une aventure de jeunesse, un rite de passage avant de se ranger et d’accepter les normes de la vie adulte ».
Mais face à cela, précise Quentin Deluermoz, « la société s’industrialise, la IIIe République se met en place, l’identité nationale s’installe, le rapport à la violence change… Tout cela génère une angoisse d’un nouveau type, qui va se condenser dans la figure de l’Apache. » ?
Le phénomène ne concerne pas seulement les garçons, on trouve aussi des filles dans ces bandes mixtes. Si le plus souvent, les femmes ne prennent pas part aux vols et sont plutôt « employées » à la prostitution, certaines d’entre elles n’hésitent pas à détrousser le bourgeois ! (Illustration : Wikicommons)
Les exagérations de la presse
Cette peur va trouver sa source dans la presse populaire, dans des titres comme Le Petit Parisien, Le Petit Journal ou Le Matin, autant de quotidiens tirant à un million d’exemplaires, qui ne vont pas hésiter à relayer, avec des titres sensationnels et de nombreuses illustrations, les méfaits de ces gangs, accusés aussi d’actes de violence gratuite, de vols avec violence ou même de viols.
Face à la peur de l’opinion publique, le gouvernement réagit. Georges Clemenceau, alors ministre de l’Intérieur, qui se désigne lui-même comme le « premier flic de France », décide de créer des unités de police judiciaire, les fameuses « brigades du Tigre ».
De son côté, le préfet de Police Louis Lépine équipe ses effectifs de chiens policiers, « mieux à même de courser les Apaches ». Autant de mesures faites pour calmer l’opinion.
Mais cela ne suffit pas à calmer la presse réactionnaire, qui dénonce le laxisme de la justice face à ces jeunes voyous, qui s’en tirent avec seulement quelques années de prison, « à cause de la traditionnelle mansuétude des magistrats du parquet ». Pire, « les agents ne peuvent se servir de leurs armes qu’à la dernière nécessité, regrette un journaliste dans Le Petit Journal du 18 août 1904. Et encore n’osent-ils pas souvent le faire de peur d’entendre le lendemain hurler la presse socialiste et les députés d’extrême gauche, ennemis de toute autorité. »
Des débats enflamment les colonnes des journaux, on se demande comment remettre cette « jeunesse perdue et dégénérée » dans le droit chemin. Certains réclament en encadrement de ces jeunes par l’armée ou des châtiments corporels comme la flagellation, d’autres réclament carrément la guillotine, alors même qu’en 1907 un projet de loi relatif à l’abolition de la peine de mort est déposé à la Chambre des députés par le Garde des Sceaux Guyot-Dessaigne.
En octobre 1907, Le Petit Journal consacre une série de unes aux Apaches, dont ils dénoncent les méfaits. La presse populaire de l’époque emboîte le pas au quotidien Le Matin et sa campagne sécuritaire, notamment contre le projet d’abolition de la peine de mort débattu à l’époque. (Illustration : Wikicommons / Le Petit Journal)
La reine des Apaches
La période est aussi à la mode du roman-feuilleton, et la culture s’empare du phénomène des Apaches. « C’est l’apparition du roman judiciaire. Le héros devient l’inspecteur, l’enquêteur ou le reporter, note Quentin Deluermoz. L’enquête est au cœur de l’ouvrage, le criminel s’éloigne et fait de plus en plus peur aux lecteurs. L’exemple type est Fantomas, avec ses deux héros – Juve l’inspecteur et Fandor le reporter – qui, dans un épisode, doivent affronter Fantomas, le chef des Apaches. »
Les Apaches font peur autant qu’ils fascinent la société. Les hommes qui la composent bien sûr, mais aussi les jeunes femmes qui gravitent autour. La plus célèbre d’entre elles se nomme Amélie Élie, plus connue sous le surnom de « Casque d’or » à cause de ses cheveux blonds, et est la maîtresse de deux chefs de bandes d’Apaches, Joseph Manda et François Leca.
Les Apaches font peur autant qu’ils fascinent. Amélie Élie, alias Casque d’or, est sans doute la plus connue.
Les règlements de compte entre les bandes de ses deux amants, Leca et Manda, font régulièrement la une des journaux. Elle devient une star – éphémère – le théâtre des Bouffes du Nord lui ayant proposé de jouer son propre rôle dans une revue, qui sera interdite par le préfet de police Lépine. (Photo : Wikicommons)
Le personnage d’Amélie Élie marquera durablement l’opinion publique, et le mythe de Casque d’or sera renforcé par le film de Jacques Becker en 1952, qui reprend l’histoire de cette jeune prostituée, interprétée à l’écran par Simone Signoret. (Photo : Wikicommons)
SIGNORET
Ces derniers et leurs troupes s’affrontent régulièrement dans les rues de Paris pour conquérir le cœur de la belle. L’affaire défraie la chronique et Casque d’or devient la coqueluche du tout-Paris. Le théâtre des Bouffes du Nord propose même à la jeune femme de jouer son propre rôle sur les planches !
Finalement, les deux caïds sont arrêtés et condamnés au bagne. Ils n’en reviendront jamais. Quant à Amélie Hélie, elle finira sa vie dans l’anonymat le plus complet, en banlieue parisienne au début des années 1930.
Quant aux Apaches, ils disparaîtront avec la Première Guerre mondiale, en rejoignant les tranchées entre 1914 et 1918. Mais le phénomène des bandes en région parisienne est cyclique : il connaîtra des résurgences, sous d’autres formes, des « blousons noirs » des années 1950 aux bandes d’aujourd’hui, en passant par les « loubards » des années 1970.
Paris en 1900
La Belle Epoque
Un film de Hugues Nancy En 1900, tous les regards sont tournés vers Paris. L’exposition universelle qui ouvre ses portes en avril 1900 en est la célébration. Elle accueillera 51 millions de visiteurs dont la moitié sont des étrangers ! D’énormes moyens ont été mis en œuvre pour en faire un événement exceptionnel : le Petit et le Grand Palais sont construits à cette occasion, mais aussi les gares d’Orsay, de Lyon et des Invalides. Et on inaugure la première ligne de métro qui transportera plus de 10 millions de voyageurs pendant l’exposition. Paris devient une ville spectacle où on célèbre aussi bien les dernières inventions techniques et scientifiques que les salons artistiques d’avant-garde, les cabarets, les grands couturiers et… les Parisiennes. Grandes bourgeoises ou ouvrières, elles font bouger les lignes et tentent de s’affirmer, en exerçants des métiers habituellement réservés aux hommes. Le mythe de Paris qu’on appellera « la Belle Epoque » est à son apogée. Les archives captent ces instants magiques de légèreté et de liesse, d’invention esthétique, et scientifique, de couronnement de la démocratie. Elles donnent à voir la première société mondialisée, connectée par le train, le transatlantique, l’avion, le téléphone... Elles rendent compte de la vie des cercles fortunés de la vie parisienne, de leur goût immodéré pour l'argent, le plaisir, l'extravagance et... les femmes. Elles ne montrent que rarement l’envers du décor, le côté plus sombre de cette période de l’histoire mais lorsqu’elle le fait, les images sont saisissantes comme celles de la zone, l’immense bidonville à la périphérie de Paris ou les manifestations ouvrières organisés par les premiers syndicats. Dans ce monde nouveau, on pense que la guerre appartient au passé. Personne n’imagine que 14 ans plus tard, cette parenthèse de paix et de prospérité sera ensevelie dans la boue des tranchées.
Page Mardi 2 Fevrier 2021
Date de dernière mise à jour : 02/03/2021