Notre rapport aux objets
Cette artiste vient de passer deux années à photographier 10 532 objets de sa maison
La photographe Barbara Iweins, après avoir photographié les mêmes personnes à 7 h le matin et à 7 h le soir, a décidé d’interroger notre rapport aux objets, à la fois superficiel et intime.L’artiste Belge Barbara Iweins s’est confrontée aux objets qu’elle possède et en dévoile les 10 532 photographies. (Capture d’écran) |
En voilà une drôle d’idée et pourtant… Barbara Iweins vient de passer deux ans, à raison de 15 heures par semaine, à photographier les 10 532 objets qu’elle possède chez elle. J’ai déménagé 11 fois dans ma vie… À chaque fois, j’étais terrifiée par la quantité de choses que je devais emballer. Cela m’a fait réfléchir à valeur des choses que je possédais, explique-t-elle sur le site internet du projet, baptisé Katalog .
Après avoir pris toutes ces photos, l’artiste belge s’est attelée à la lourde tâche de les classer : j’ai classé chaque objet selon son matériau, son degré d’utilisation, sa couleur…, ajoute-t-elle. Bibelots, boîtes de médicaments, paires de chaussures, livres et magazines… Tous y sont passés.
Pas un livre, une gomme… n’a échappé à son objectif
Pas question, en revanche, d’opérer un choix auquel chacun peut assister sur les réseaux sociaux : « Pour être totalement honnête avec moi-même, je me devais de les capturer tous sans exception aucune. Pas un livre, pas un vêtement, pas un ustensile de cuisine, pas une gomme, pas un lego n’allait échapper à mon objectif. Pièce par pièce, étage par étage, j’ai photographié chaque objet de mon chez moi afin d’en avoir une vision globale », poursuit-elle sur le site.
Et l’aboutissement de ce travail, c’est ce site qu’elle présente comme une performance où elle dévoile tout ce qu’elle possède au public : sans filtre, sans sélection préalable et en une fois. En somme, l’exposition du soi poussée à son paroxysme, estime Barbara Iweins.
“Qu’est ce que vous emporteriez si votre maison brulait?
"J’emporterais le feu", répondit Cocteau.
Collectionneuse névrosée, j’ai toujours ressenti un profond plaisir à ordonner, catégoriser, exposer. Je recherche fondamentalement une émotion esthétique dans l’assemblage de choses & idées qui au premier abord semblent incongrues ou même insipides. Mon obsession est telle, que je suis même parvenue à convaincre mes enfants de commencer une collection avec des jouets que je trouvais laids. Ceci afin de trouver une harmonie dans la multiplicité. Comme c'est moche, poussons-le à l'extrême… la quantité pourrait le rendre beau;)
Dans ce monde chaotique, les objets qui meublent mon intérieur sont quelque part mes référents stables… Ils me protègent. D’une certaine façon, je ressens un profond sentiment de quiétude dans l’inertie. Casanière dans l’âme, je ne souhaite pas parcourir le monde et découvrir le plus de pays possibles. Je préfère rester à la maison ou lorsque je voyage ; retourner inlassablement au même endroit pour me fondre dans le décor.
J’aimerais que rien ne bouge jamais, mais ma vie d’adulte en a décidé autrement et déménager est devenu un rituel annuel.Chaque fois que je déménageais dans un nouvel endroit, j’étais terrifiée par la quantité de choses que j’avais accumulées. Par contre, parallèlement, je développais de plus en plus une relation obsessionnelle avec certains objets. Je commençais à les chérir de façon excessive. Mes chaines en or par exemple (qui représentent pour la plupart des souvenirs particuliers) je les superpose toutes au quotidien. Comme un marin qui portait des boucles d’oreilles en or pour payer ses funérailles si quelque chose devait lui arriver, retirer mes chaines la nuit n’est même plus une option.En 2018, en ouvrant à nouveau mes cartons de déménagement, le cycle d’accumulation insensé et irrationnel m’a sauté au visage. J’ai, dès lors, commencé à m’interroger sur ma relation aux objets qui m’entourent, sur la valeur intrinsèque que je leur attribue (liée à la nécessité, à la familiarité, à la rareté, à l’étrangeté…), sur les sensations qu’ils suscitent, sur les liens qui me retiennent à eux au point d’avoir besoin de leur présence, qu’elle soit physique ou psychologique
Les réflexions portées par mon projet KATALOG, je souhaite aujourd’hui les partager avec le plus grand nombre à travers une présentation frontale et immersive de mon travail.Désirant plus de stabilité dans ma vie, j'ai ressenti l'envie de m’enfermer dans mon nouvel endroit. J’ai, dès lors, décidé de repousser les limites du confinement et de ma névrose en me rapprochant encore plus de mes affaires et en les analysant en détails.
Suivant Kant pour qui “l’objet existe mais ne devient objet constitué que lorsque le sujet lui fait face et le constitue en tant que tel”, j’ai décidé d’isoler systématiquement tous les objets de ma maison et d’entreprendre une confrontation avec chacun d’eux au travers de mon objectif photographique. Cette aventure lente et intime, je l’ai intitulé: KATALOG.
KATALOG
La majorité de mes biens sont conservés dans des espaces clos (tiroirs, boîtes, armoires, caves…). Ils sont rangés hors de ma vue, et pour être totalement honnête avec moi même, je me devais de les capturer tous sans exception aucune. Pas un livre, pas un vêtement, pas un ustensile de cuisine, pas une gomme, pas un lego n’allait échapper à mon objectif. Pièce par pièce, étage par étage, j’ai photographié chaque objet de mon « chez moi » afin d’en avoir une vision globale. Grace à cette démarche, je me suis confrontée au volume de mes possessions et de ma consommation, au risque d’atteindre les limites de l’écœurement et de l’overdose.
Afin d’éviter les erreurs, j’ai mis en place une méthode précise et rigoureuse. Allant de gauche à droite dans chaque chambre, les Post-its me rappelaient quels étaient les tiroirs ou objets que j’avais déjà photographiés.
Après chaque prise de vue, j’ai retranscrit dans un tableau, la couleur, la taille, la valeur sentimentale, le matériau, la localisation de l’objet ou encore le nombre de fois qu’il avait été sorti de son ‘enclos’.
Mon catalogue ‘irraisonné’ allait remplir ses pages selon une courte liste de restrictions :
→ Ne pas prendre en compte les choses fixées dans la maison car elles ne relèvent pas d’un choix personnel (bain, lavabo…);
→ Ne pas photographier de nourriture car elle a pour vocation de disparaître;
→ Ne pas photographier d’objet bidimensionnel (papier, lettres, photos) car il n’a pas de volume propre;
→ Tout objet identique en tout point (taille, couleur, volume…) plus de 30x sera photographié sous la forme d’un tout;
→ De même, les objets qui n’ont pas de fonction propre de façon isolée (cartes à jouer, jeux de société) seront photographiés sous forme d’un tout;
→ Si un objet est emballé ou attaché à un autre, il le restera sur la photo.
J’ai délibérément isolé chaque objet sur un fond blanc neutre afin de l’extraire de son environnement et favoriser un regard détaché de son contexte.
Qu’il soit présenté dans un grand espace intérieur (sur une surface unique ou sur différents murs d’une même pièce) et/ou sur une immense surface extérieure, je souhaite que le public n’échappe pas à la confrontation de cette masse d’images nauséabondes.
Mon approche
Lors de mon confinement volontaire, les études sur la recherche du bonheur matériel furent mes lectures quotidiennes. Pourtant, au fil du travail, je me suis retrouvée au carrefour entre deux sentiments qui se mêlaient et s’opposaient: je réalisais que je ne ressentais que peu d’attachement avec la majorité de mes possessions qui sont, pour la plupart, plus une source d’encombrement que de plaisir. Mais parallèlement, le fait d’isoler chaque objet (même le plus ordinaire), de l’ordonner et le classifier selon des critères propres lui confère une importance et une beauté subjective toute particulière. Même une bouteille de sirop qui a coulé sur les bords de la bouteille développe, à présent, quelque chose d’intéressant d’un point de vue esthétique. Secrètement, j’esperais rejoindre l’expression: « less is more » et me détacher de la plupart de mes objets, mais on dirait que j’ai fait l’inverse. Je ne suis définitivement pas Marie Kondo ;)
Nous ne sommes d’ailleurs pas seulement attirés par les biens et les richesses. Au dela de notre besoin de possession matérialiste, notre époque est en perpetuelle quête de reconnaissance. Chaque geste, chaque voyage, chaque achat est dévoilé à la vue de tous sur les réseaux. Avons-nous à ce point peur d’être insignifiants? A travers cette quête perpétuelle de reconnaissance, nous recherchons, à nouveau, ce bonheur factice qui ne comble que de façon éphémère cette sensation de ‘faim’. En somme, cette abondance de gratification est comparable à notre consommation exacerbée. Tous deux nous éloignent pendant un court instant de nos vraies peurs qui demandent du temps, de l’effort et de la réflexion pour être surmontées.
“Acquérir, pour se soulager, s’enivrer, se réconforter. Pour se rendre un peu plus heureux ou un peu moins malheureux. Pour ne pas trop penser à ce qui est compliqué dans nos existences. Pour accéder à un monde que l’on sait factice et simplifié mais que l’on espère facile et confortable. Pour ne pas penser au malheur ou à la vacuité de notre vie en ce moment. On dépense pour dé-penser.” − Christophe André
Cette performance m’amène donc, à dévoiler au public tout ce que je possède, sans filtre, sans sélection préalable et dans son ensemble. En somme, l’exposition du soi poussé à son paroxysme. L’exposition non pas du recto idéalisé et maîtrisé d’une vie parfaite mais bien son verso sans sélection aucune. malheur ou à la vacuité de notre vie en ce moment. On dépense pour dé-penser.” − Christophe André
Exposition
Les réflexions portées par mon projet KATALOG, je souhaite aujourd’hui les partager avec le plus grand nombre à travers une présentation frontale et immersive de mon travail. De surcroit, j’espère ainsi lancer de nouvelles pistes de discussions avec d’autres artistes/penseurs qui travaillent sur cette même thématique (de nombreux courants minimalistes relancent le sujet régulièrement) et élaborer une vision polyphonique avec eux.
Qu’il soit présenté dans un grand espace intérieur (sur une surface unique ou sur différents murs d’une même pièce) et/ou sur une immense surface extérieure, je souhaite que le public n’échappe pas à la confrontation de cette masse d’images nauséabondes. Ce face à face, le visiteur devra l’assumer et y projeter peut-être son expérience personnelle.
Cette installation monumentale et immersive, je la souhaite sous forme de petites projections digitales. Chaque cliché sera exposé dans un ordre disparate dans une masse exceptionnelle de +/- 10.000 photos. Cet agrégat de traces photographiques visibles sous tous les angles devrait susciter une encombrement mental et physique du visiteur. Dans des espaces annexes, les photos d’objets seront classées de façon subjectives et arbitraires sous forme de projections digitales en mouvement (variation de grandeurs, couleurs, arrangement…).
Travailler de façon répétitive a été une expérience terriblement ennuyeuse mais extrêmement rassurante. Même si j’avais l’impression d’être dans le film « Un jour sans fin », le fait de mettre en scène ces objets avec discipline et dévouement m’aidait à organiser ma pensée et ma vie. En quelque sorte une thérapie nécessaire.
Maintenant que toutes les photos ont été prises, je me sens quelque part rassurée. J’ai vécu toute ma vie dans la peur que je pouvais tout perdre du jour au lendemain… A présent tout peut s’écrouler. J’aurai toujours une trace que ces objets, cette vie a existée. Ma maison peut désormais prendre feu, je peux me retrouver à la rue... tant que j’ai mes 3 enfants dans ma poche et mon KATALOG sous le bras, je crois que je m’en sortirai…
La présentation de KATALOG verra le jour en 2021.
Barbara IWEINS
Bruxelles
Et l’aboutissement de ce travail, c’est ce site qu’elle présente comme une performance où elle dévoile tout ce qu’elle possède au public : sans filtre, sans sélection préalable et en une fois. En somme, l’exposition du soi poussée à son paroxysme, estime Barbara Iweins.
http://katalog-barbaraiweins.com/french.html
Fin
Date de dernière mise à jour : 26/06/2020