Destins du Périgord
Noé Chabot, le curé qui se mit à tenir un bistrot
Par Clément Bouynet perigueux@sudouest.fr
Publié le 27/03/2021 à 14h48
Ordonné prêtre en 1897, le Périgourdin a tenu un temps le bar de la place du Coderc à Périgueux
© Crédit photo : collection Jean Batailler
Noé Chabot préférait servir le Pape-Clément plutôt que de se conformer à la doctrine du pape Pie X. Ordonné prêtre en 1897, le Périgourdin a tenu un temps le bar de la place du Coderc à Périgueux, cette activité l’affublant pour la postérité d’un sobriquet aussi évocateur qu’insolite : le curé-bistrot.
Le père Noé Chabot est né dans la rue Taillefer à Périgueux, Il a officié à La Boissière-d’Ans ainsi qu’à Journiac.
De 1908 à 1914, les piliers de comptoir et les anticléricaux se sont bousculés pour venir déguster un monbazillac servi par un barman en soutane, à quelques encablures de la cathédrale Saint-Front.
Un succès immédiat qui s’explique par son sens inné de la communication. « C’était un génie de la provocation, il a utilisé une ressource nouvelle, la carte postale photographique, à des fins de parodie », s’enthousiasme François Perroy, auteur avec Henri Brives d’un livre sur le personnage
Dans ces cartes, il se met littéralement en scène. Les enfants de chœur y sont représentés en train de boire de l’alcool, les fidèles vomissent l’hostie tandis que le curé se représente à califourchon sur un évêque. Dans l’une d’elles, il ajoute ce qu’on appelle aujourd’hui une punch line à destination de son supérieur : « au lieu de lever la crosse, il ferait mieux… de lever le coude. »Le curé Chabot en voulait particulièrement à la hiérarchie épiscopale qui se méfiait de ses idées républicainesCes caricatures, outre la formidable publicité qu’elles engendrent pour l’établissement baptisé Au vrai Monbazillac puis Chez le curé, lui servent surtout de catharsis et de revanche personnelle à l’égard de la hiérarchie épiscopale. Elle se méfiait de ce prêtre aussi marginal qu’iconoclaste.La carte postale photographique était un procédé nouveau
Né dans la rue Taillefer en 1869, le jeune Périgourdin au prénom biblique entre assez jeune au séminaire. Affecté à la paroisse de La Boissière-d’Ans, puis à celle de Journiac et Saint-Avit-de-Vialard, il condamne dans ses prêches « les évêques félons qui conduisent, insolents et provocateurs, leurs ouailles à l’assaut de leur ennemi : la République ».
Proche des fidèles, il entreprend selon ses dires un voyage aux Amériques, notamment au Mexique, d’où il revient malade en 1905. L’année du vote de la loi de séparation des Églises et de l’État. À son retour, il est affecté brièvement dans une paroisse au fin fond des Alpes. En réalité, c’est une forme d’ermitage imposée par l’Église en guise de pénitence pour ses prises de position passées.
Punition divine
Chabot revient en terres pétrocoriennes mais, face à l’intransigeance du vicaire et de l’évêque en place, il devient un prêtre sans cure. Pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses parents, il décide d’adapter à sa manière l’épisode biblique des Noces de Cana : s’il n’arrive pas à changer l’eau en vin, il attire malgré tout les fidèles à coups de promotions sur le monbazillac. « Un curé travailleur, ça ne vous va pas, ça condamne votre sainte et molle oisiveté », lance le Périgourdin à ses détracteurs dans son ouvrage intitulé « Comment l’Abbé Chabot est devenu curé bistrot ». Derrière le comptoir, il devient à la fois Don Camillo et Peppone, un homme pieux et, paradoxalement, un fervent anticlérical.« Il y a des zones d’ombre dans la psychologie du personnage. Il avait un ego surdimensionné mais on a le sentiment que jusqu’au bout, il a gardé la foi », estime François Perroy. La fin de sa vie en atteste.
La Grande Guerre aura raison de sa « buvette » et après une période d’errements, il demande son retour en grâce. Pardonné par l’Église, Noé Chabot s’éteint le 8 avril 1943 au Dorat (87), prêt à rencontrer son créateur, comme il l’avait prophétisé. « Votre curé bistrot, voilà la punition que Dieu vous a envoyée».La foule s’agglutinait au bistrot nommé Chez le curé Les caricatures du curé ont beaucoup fait parler à l’époque
Une histoire digne du cinéma
François Perroy a co-écrit son ouvrage sur le curé Chabot en 1986. Depuis, il n’a jamais perdu de vue son histoire rocambolesque. « Avec Olivier Péant, j’ai écrit un synopsis un peu romancé pour l’adapter au cinéma. Le projet avance mais on attend toujours qu’un producteur l’adopte. » L’ancien journaliste de « Dordogne Libre » estime que l’œuvre du prêtre ferait encore écho aujourd’hui : « Je l’ai toujours comparé aux caricaturistes de “Hara-Kiri” ou “Charlie Hebdo” ».
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Date de dernière mise à jour : 14/06/2021