Je suis né dans une famille d’agriculteurs saintongeais
J’ai vu le jour au forceps, dans une famille où, de père en fils et de mère en fille, on cultive depuis plus d’un demi-millénaire près de l’île d’Oléron en Charente-Maritime. Enfance sans culture, sans toilettes, sans télévision, sans téléphone, sans livres ou musique, sans cinémas ou distractions à proximité, et où beaucoup de travaux se faisaient encore à la main.
Électricité au compte-gouttes, j’avais 12 ans quand mes parents ont acheté leur première voiture. Famille agricole, lycée agricole, formation initiale en protection des cultures, j’ai été formé à la destruction de la nature. Autrement dit, j’ai été formé à la technologie des pesticides pour faire table rase de la biodiversité. Et 40 ans après, derrière les mots et les beaux discours, rien n’a changé. L’état de santé de la Nature s’est sérieusement dégradé, et on va replanter en France 7000 km de haies pendant que l’on continue d’en arracher 8500 km tous les ans…
Hé… sachant qu’il faut une génération avant qu’une haie offre de vrais services éco systémiques, la priorité aurait pu être de sauver d’abord celles qui existent… Trop simple Quant à la méthanisation agricole, en détournant le carbone labile des sols pour en faire du gaz, à l’exemple des vers de terre, c’est la vie souterraine que l’on fait mourir de faim. Là où la biodiversité est la plus grande, là où 2/3 des espèces terrestres nichent, triste projet de société au nom de l’écologie
Au cœur du système, j’ai vécu la manière dont les pesticides ont été imposés à ma famille et aux agriculteurs. Toujours imposés, puisque le plan national Écophyto, lancé en 2008 et qui visait à les réduire de moitié avant 2018, 700 millions d’argent public investi, a été un succès pour les multinationales les ventes de pesticides ayant globalement augmenté de 24% pendant toute cette période de réduction !
Pourquoi leur usage ne baisse-t-il pas ?
Pourquoi ce paradoxe ? — « L’usage des phytosanitaires structure à tel point les exploitations agricoles d’aujourd’hui, que l’on parle de dépendance » préviennent les auteurs d’un article publié en nov. 2020 dans la revue scientifique de l’INRAE, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, un établissement public. Ajoutant :« Les médias, parfois avec une certaine animosité, incriminent souvent de puissants lobbys ou la bêtise humaine. Sans nier l’existence des uns (ni de l’autre), cet article vient pointer quelques causes ordinaires. » Une addiction, car c’est moins angoissant de travailler avec des pesticides, tout au moins en grandes cultures.
Et parmi les causes, j’en ai pointé 2 : des progrès techniques à la peine, et moins de surfaces agricoles, donc plus de surfaces de grandes cultures. Moins de surface, donc plus de consommation ! ! ! Parce que beaucoup de prairies naturelles ont été mises en culture, par commodité ou pour répondre à l’augmentation spectaculaire des élevages hors sols.
J’ai vu comment ils nous ont enrôlés
Adolescent, en livrant le grain, j’ai vu comment les commerciaux avaient insidieusement pris le contrôle de la coopérative pour nous enrôler. J’ai vu comment les convertis à la chimie étaient présentés comme des premiers de cordée, des pionniers. Et, effectivement, les résultats de cette chimie étaient palpables et encourageants : blé propre et plus rond, plus riche en amidon, meilleur rendement, moins de travail, tracteur rutilant. Mais une question se posait. La coopérative, était-elle réellement au service de ses sociétaires ou d’intérêts extérieurs ?
Son directeur, un gars si gentil par devant, mais qui n’avait pas hésité à rappeler mon père à l’ordre. Enfin à ses obligations de coopérateur : être solidaire. Et être solidaire, c’était fermer sa gueule. Ça tombait bien, mon père était plutôt taiseux.
Il n’exprimait rien sans en penser moins, mais il devait me la fermer. Soutenu par notre famille, a-t-il eu honte de moi, de mes idées, dans un milieu où il ne faut jamais faire de vagues ? Je n’y ai plus remis les pieds
Très tôt, j’ai payé le prix de mon opposition à ce système qui broie la Nature
et ceux qui la cultivent.
À tel point que 40 ans après, à l’exemple de l’année 2015, à force de broyer du noir, 605 agriculteurs et agricultrices se sont suicidés selon la sécurité sociale agricole (MSA). Quasi deux par jour. Une catastrophe sociale passée sous silence au même titre que ceux qui perdent leur emploi et empruntent le même chemin.Bref, études courtes ou écourtées, quelque temps après la mort de mon grand-père paternel qui vivait sur la ferme, j’ai pris mon sac à dos. Ma mère pleurait, j’ai fait du stop, je suis parti loin.
Pierre, le mari de ma grand-mère Madeleine, la « femelle dominante » du clan Gatineau, née Barbonneau, fille d’Édith, mon arrière-grand-mère, née Néraud, une merveilleuse femme qui vivait à Champagne au milieu de grands cactus. Pierre, un paysan rentré dans la vie active à l’âge de 11 ans. Un frein au progrès, un arriéré selon les ambitieux de la FNSEA. Les ambitieux, le clan maternel, je ne m’étendrai pas. Ils n’avaient d’yeux que pour eux, l’agribashing ne date pas d’aujourd’hui, allègrement pratiqué au sein du monde agricole par les « gros » pour basher les petits : les derniers de la classe. Et les pouvoirs publics et la banque des agriculteurs n’ont pas été les derniers à les basher quand ils ont démembré le monde rural.
Nov. 1979. Saint-Agnant-les-Marais (17).
Pierre Gatineau, ce grand-père dont la pensée imprègne encore aujourd’hui fortement mes mots :
« Avant, on travaillait tout le temps, mais à notre rythme. Au rythme des saisons, de la nature et des travaux de la ferme. Aujourd’hui, ils (les paysans) travaillent tout le temps, mais avec le stress en plus. Parce qu’il faut aller de plus en plus vite… Mais la vie n’est pas une course. Je ne te dis pas que c’était mieux avant, je te dis que ce n’est pas mieux aujourd’hui. »
Quelques jours après, il mourrait d’une crise cardiaque en ramenant les vaches à l’écurie. Une belle mort diront certains, son père était mort la tête dans sa soupe et mon père est toujours frais comme un vieux gardon.La chimie et le Progrès ont aussi du bon
D’accord, mon grand-père était un paysan pauvre qui savait à peine lire et écrire, n’empêche qu’il poussait au maximum le potentiel des quelques neurones qu’il était censé posséder comme tous les ploucs. Ce n’était pas un philosophe, il ignorait même le sens du mot, mais il avait une certaine philosophie de la vie. Merci mon pépère, merci de continuer de vivre à l’intérieur de moi.
Son projet n’était pas de m’inculquer ses idées comme un instituteur.
D’ailleurs, il ne m’a appris ni recettes, ni techniques, ni même l’un de ces secrets jalousement transmis de génération en génération comme un précieux trésor, et réservé à quelques élus en charge d’en préserver la substantifique moelle. Non, il me racontait seulement de belles histoires pour attiser ma curiosité comme on attise un feu avec un soufflet. Il m’a appris à réfléchir par moi-même et à m’arracher de ma condition. Et possiblement, il m’a “insufflé” de cultiver avec la Terre.
Cultiver avec la Terre, le soleil et le terroir,les astres fondateurs du vivant
Et la préposition « avec » change tout. Beaucoup disent cultiver avec la lune, alors que personne n’y a jamais cultivé le moindre radis. De surcroît, une planète considérée comme négligeable par les grands peuples de cultivateurs qu’ont été les Chinois et les Sud-Amérindiens, et sans oublier les Grecs, les Égyptiens et les Aborigènes, ces derniers étant très certainement les premiers agriculteurs de la planète (traces de cultures datées de 17 000 ans).
Les Chinois de l’ancien temps plaçaient en premier chef l’influence totale de la Terre et du soleil, les astres fondateurs du vivant. C’est déjà tellement compliqué de cultiver en fonction de la Terre, du soleil et du terroir, que si en plus il faut tenir compte de la lune… Son fils, mon père, est dans la même dynamique : « Je sème et je repique quand c’est le bon moment » me disait-il dernièrement.
Qui est à contresens ? Ces Anciens de l’ancien temps, ou nous, ces nouveaux au futur incertain ? Bref, tous les ans, livres et magazines fleurissent dès le mois de janvier pour encourager à cultiver en fonction de la lune…
https://www.lejardinvivant.fr/2021/05/30/gatineau-ne-dans-une-famille-agriculteurs-saintongeais/
Christophe Gatineau est né à Rochefort le 9 Aout 1961
Christophe Gatineau est un auteur, un agronome spécialisé en permaculture et agroécologie, un photographe et réalisateur. D'une formation initiale en protection des végétaux, il a exercé des métiers aussi divers que vacher, berger ou animateur culturel, avant d'être chef-opérateur puis réalisateur de documentaires.
Christophe Gatineau (auteur de Éloge de l'abeille) – Babelio
www.babelio.com › auteur › Christophe-Gatineau
Christophe Gatineau, invité de la nouvelle série "Pour ma planète"
Deuxième volet de la série diffusée sur France 3 Limousin. "Pour ma planète" parle chaque mercredi de l'environnement avec ceux qui agissent pour la planète. L'auteur et cultivateur agronome Christophe Gatineau nous reçoit dans son jardin haut-viennois. Equipe : Cécile Gauthier, André Abalo et Sébastien Passelergue.
Date de dernière mise à jour : 17/07/2022